Le Bulletin des APM
Volume XV, numéro 2, automne 2025
Depuis le dernier Bulletin, notre archiviste France Villeneuve a traité les fonds suivants dont on pourra voir les notices sur le site internet https://www.archivespassememoire.org/fonds Danielle Cuisinier Dionne (APM82), Famille Delorme (APM85), Claude Duplessis (APM90), Michel Lamoureux, (APM91), Famille Parenteau (APM81).
Ils sont maintenant ouverts à la consultation, sur rendez-vous.
Les APM ont récemment accueilli les fonds suivants: Fonds Louis-Philippe Pelletier et famille APM104, Fonds Joséphine Lefebvre APM107, Fonds Rodrigue Johnson APM108, Fonds Famille Benoît APM110.
Ce Bulletin a pour thème les institutions telles qu’abordées dans les journaux personnels et dans les lettres. On y trouve des comptes rendus d’écrits de militaires, d’un psychologue, d’une jeune détenue et d’un prisonnier.
Nous vous offrons nos meilleurs vœux pour les Fêtes et pour la Nouvelle Année.

Les institutions dans les archives
Presque chaque personne, à un moment ou un autre, appartient à une institution et en parle dans son journal ou dans ses lettres. Le mot « institution » semble abstrait, protéiforme, un mot parapluie qui recouvre plusieurs genres d’associations, plus ou moins consenties : prison, pensionnat, communauté religieuse, mariage, hôpital, parti politique, forces armées. Chacune possède ses règles et ses normes auxquelles doivent se conformer ses membres.
Les écrits personnels témoignent des expériences diverses dans toute forme d’institutions. Le fonds de la famille De Salles Laterrière (APM24) contient des lettres de très jeunes élèves pensionnaires vers 1910. Dans ses Chroniques de famille et du Canadafrançais au 20e siècle, Sullivan Fréchette (APM62) laisse un portrait coloré de ses années au collège du Sacré-Cœur de Grand-Mère dans les années 1920 (dont on peut écouter la lecture de quelques pages sur Sound Cloud https://soundcloud.com/search?q=archives%20passe-m%C3%A9moire).
L’institution la plus contraignante est sans doute la maison de correction et la prison. Pierre Lefebvre décrit ses années à Bordeaux non comme prisonnier mais comme psychologue et fin observateur.
Alors que les communautés religieuses offrent aux élèves un cadre à l’intérieur duquel elles et ils poursuivent leur éducation, elles représentent pour le corps enseignant une vocation et un milieu de vie qui englobe toute leur existence. Depuis cette même époque, dans la foulée de la Révolution tranquille et du Deuxième Concile du Vatican, plusieurs religieuses et religieux ont quitté leur communauté. Plus d’un déposant aux APM a fait un séjour dans un noviciat. Pour les femmes, Raymonde Proulx, sœur du Bon Conseil, nous livre un précieux témoignage lorsqu’elle écrit à son évêque demandant d'être relevée de ses vœux de chasteté, d'obéissance et de pauvreté. Elle en donne les raisons : « J'ai quitté cette congrégation le 15 juin de l'an dernier [1969], en vue de mon accomplissement personnel. Je voulais devenir une vraie femme. (Raymonde Proulx, APM35).
Le mariage comme la vie religieuse est une institution à laquelle on se doit d'appartenir pour la vie. C’est l’institution sur laquelle on trouve le plus de traces dans les Archives Passe-Mémoire. Une institution dans laquelle les couples entrent allègrement et pour laquelle ils se préparent, surtout dans la période entre les fiançailles et la noce. En font foi les lettres entre fiancés. L’institutrice Anna Marie Tousignant écrit à son « promis » Jean-Baptiste Cloutier, le 29 juillet 1919 : « Je connais assez la vie pour comprendre que le mariage demande des sacrifices, des héroïques actions; mais je ne crains rien. Je veux être la femme forte de l’Évangile. Je me soumettrai aux choses raisonnables sans mots dire. Un désir de ta part sera un ordre pour moi et tu ne seras pas pour moi un homme, mais mon mari, le père de mes enfants ». (CA28) Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.
Plein de sollicitude, Louis Philippe Coulombe écrit sa future épouse Rollande Bourgault en 1950 : « Je veux que tu aimes ton mariage et non pas subir ton mariage » (APM66.)
L’agronome Jean-Baptiste Cloutier réfléchit beaucoup à la perspective d’entrer dans la vie matrimoniale: « Il faut que les enfants ne prennent pas tout notre temps non plus… il n’est même pas bon de se relever chacun son tour à la tâche de garder les petits. Les exigences de la vie ne permettent pas à l’homme de tenir compagnie aux enfants à la place de la bonne ». (CA28) 4 juillet 1920
Certains mariages s'apparentent toutefois à un enfermement foucaldien. Piégées, les femmes peinent à s'en sortir. Pendant les années 1930, Anna Belle Beaudin a mené une vie extrêmement difficile sur la Côte-Nord, la « Terre de Caïn », avec un mari souvent absent. Dans ses Mémoires, elle écrit; « Si j'avais écouté mon père j'aurais lâché mon mari, mais maman disait : reste. Si j'étais partie, où aurais-je été? Sans un sou à cette époque on ne pouvait pas compter sur le gouvernement, l'aide sociale n'existait pas et que seraient devenus les enfants? » (Anna Belle Beaudin APM28).
Toutes ces institutions, voulues ou non, ont en commun l’existence de règles, la soumission à certaines normes et la difficulté d’en sortir. Elles varient selon les époques, avec une plus grande liberté, sauf pour les incarcérations, depuis les années 1960. Ces conditions et ces changements se retrouvent dans les journaux intimes et dans les lettres qui doivent, pour cette raison, être conservées.
COMPTES-RENDUS
de fonds déposés aux APM
FONDS FAMILLE DELORME APM85. Par France Villeneuve.
Le parcours militaire du sergent Léo Delorme (AMP85) s’apparente à celui du sergent Laurent Melançon (APM26) dont le fonds a été acquis par les Archives Passe-Mémoire en 2011. Les deux hommes sont mobilisés en 1942, et ils joignent le même régiment, celui des Fusiliers de Sherbrooke ; ils se promènent au Canada, de camp d’entraînement en camp d’entraînement, où tous les deux semblent en partie désœuvrés, et ils s'ennuient. En 1945, Léo Delorme (tout comme Laurent Melançon) est transféré en Angleterre, assigné à l’entraînement des recrues. Nous pouvons constater dans les lettres expédiées par Léo Delorme à Rose Blanche Delorme (née Boutin), son épouse, que Delorme et Melançon sont amis : ils font la traversée côte à côte et ils voyagent souvent ensemble lors de leurs permissions. L’histoire nous dira que les deux hommes resteront amis jusqu’à la fin de leurs jours…
Le fonds de la famille Delorme est surtout constitué d’un spicilège réalisé par Rose Blanche Delorme qui documente précisément les années de guerre de Léo Delorme. Rose collectionne et colle les lettres, aérogrammes, cartes postales et télégrammes de son époux, ainsi que des photographies, des écussons, des insignes de l’armée, des articles de journaux, des pièces de monnaie étrangère et d’autres souvenirs. Les documents sont placés dans le cahier de façon chronologique et forment un livre-souvenir magnifique. Le spicilège documente la vie du militaire pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais il témoigne également des premières années d’amour de ce jeune couple. Les mots d’amour fusent de toutes parts dans les lettres du sergent Delorme. Il écrit sur ce qu’il vit dans les camps d’entraînement, sur ses sorties, sur la nourriture et il témoigne abondamment de son amour à son épouse. Léo écrira 348 lettres à sa femme entre le 16 novembre 1942 et le 13 février 1946. Au début, les lettres sont plus espacées dans le temps, mais à partir du moment où celui-ci est muté en Europe, il écrit presque chaque jour et il semble que les réponses de Rose soient tout aussi nombreuses, même si celles-ci n’ont pas été conservées.
Bien que le résultat de ce collage soit remarquable, il représente un défi de conservation de taille pour un centre d’archives. En effet, les pièces qui y sont collées sont de précieuses archives historiques, mais les colles utilisées, les différents papiers qui se chevauchent — dont certains, comme le papier journal, contiennent beaucoup d’acidité — peuvent avoir pour effet d’accélérer la dégradation des précieux documents. De même, les lettres qui se retrouvent pliées entre les pages se fragilisent avec le temps et avec la manipulation. Il apparaît alors que le fait de tourner les pages multiplie les risques de déchirures et de cassures. Les décoller afin de reconstituer le tout avec des matières permettant de ralentir la détérioration des documents et artéfacts risque d’endommager lourdement le précieux ouvrage. Les archives Passe-Mémoire ont donc protégé le document le plus possible après avoir numérisé toutes les pages du spicilège et chacune des lettres qu’il contient. Le tout afin d’éviter les manipulations et les expositions à la lumière. Bref, tout est mis en œuvre pour sa préservation.
Le fonds de la famille Delorme contient également une pièce singulière retrouvée par la donatrice du fonds, dans les archives de ses parents. Il s’agit d’une lettre datée du 24 décembre 1916, reçue par le père de Rose Blanche Boutin, Ovide Boutin. La lettre vient de Nicolas Miclo, Alsacien déporté dans les Vosges, en France, pendant la Première Guerre mondiale. Elle décrit la pauvreté extrême dans laquelle lui et une partie de sa famille vivent (3 de ses 7 enfants ayant été déportés en Allemagne). Il remercie monsieur Ovide Boutin qui lui a fait parvenir une veste en laine.
CITATIONS :
Debert, 12 octobre 1943
… L’on a des règlements très sévères pour le train, il nous est défendu d’envoyer des lettres ou cartes postales le long du chemin, mais sois assuré que je ferai tout mon possible pour t’en faire parvenir… Ton mari qui t’aime beaucoup et qui ne cesse de penser à toi.
Mille baisers affectueux,
Léo
Lettre postée à Montréal par une tierce personne qui revenait d’Angleterre :
Angleterre, 27 janvier 1945
Bonsoir chérie,
Voici une lettre que je suis certain qui ne passera pas par la censure et je pourrai ainsi te donner plus de détails sur tout ce qui s’est passé et qui se passe encore. Nous avons pris le train à Joliette le 8 au soir et à une heure trente du matin, le train s’est mis en branle. Tout d’abord aucun homme ne voulait embarquer et à un moment donné une compagnie s’est décidé et ils sont embarqués à bord du train et après les autres ont suivis. Nous nous sommes dirigés sur Halifax où nous sommes arrivés le 10 au matin, et on nous a arrêté dans le port pour nous embarquer au bord du Mauretania… Un très gros bateau. Nous avons couché à bord pour partir le lendemain matin vers 10 heures pour nous diriger sur Liverpool. Dans le bateau, on nous a placé comme l’on ne le ferait pas avec des cochons de peur de les faire mourir. Je me demande encore comment l’on peut survivre à toutes ces choses.
… Je passe un beau congé en Ecosse mais ça me fait ennuyer davantage car je pense aux belles journées que nous aurions ensemble si ce n’était pas de cette maudite guerre qui nous a si longuement séparés j’espère que ce jour de délivrance n’est pas pour trop loin et que bientôt nous serons réunis et cette fois pour toujours… (Glasgow, 24 juillet 1945)

FONDS FAMILLE PARENTEAU APM81. Par France Villeneuve.
Jules Parenteau fait des études au Grand Séminaire de Montréal et il est ordonné prêtre en 1945. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il écrit à ses amis et cousins partis au front sur le Vieux Continent. Le fonds APM81 est principalement constitué des réponses reçues par Jules Parenteau à ces lettres. On y trouve des missives de son ami Gérard Corbeil, copain du Collège André Grasset et surtout compagnon de scoutisme. Les lettres de Corbeil démontrent une amitié et une confiance. Celui-ci parle de la guerre, des moments de découragement, mais aussi des moments d’espoir. Il disserte sur ses lectures, expose ses idées politiques. Il se permet parfois même un peu d’humour.
Les lettres des cousins René et Paul Bureau ainsi que celles de Julien Parenteau sont moins foisonnantes, plus factuelles. Ceux-ci se montrent surpris (mais ravis) de recevoir des nouvelles de leur cousin Jules. Toutefois, celles du cousin Louis-Aimé Parenteau sont étonnantes ; elles décrivent, avec une grande modestie et une résilience notable, la vie difficile du travail de ce dernier, ambulancier de guerre. Nous pouvons y lire des moments où Louis-Aimé esquive les tirs, ou encore il ne se gêne pas pour donner son opinion sur l’Italie et les Italiens qu’il trouve sales, il raconte un échange « en français » avec le pape lui-même. Dans une lettre venant de ce qu’il appelle une « Canadian transfusion Unit », Louis-Aimé s’excuse de ces nombreux déplacements, c’est qu’il a fait un séjour à l’hôpital pour « choc nerveux ».
Néanmoins, Louis-Aimé Parenteau revient de la guerre sain et sauf et il fonde une famille. Il décède en 2015 ; c’est ce que l’on apprend, entre autres, dans un texte biographique contenu dans le fonds, écrit par Josée Parenteau, sa fille.
CITATIONS
Gérard Corbeil écrit :
Hollande, 30 janvier 1945
Bonsoir mon cher Jules,
Me v’là ! Enfin. Résigné à te griffonner un de ces feuilletons ou roman-fleuve que tu sembles tant aimer. Tu excuseras d’abord mon papier plutôt « tardif ». Tu comprends, la papeterie du coin a souffert légèrement de quelques obus plantés bien d’aplomb.
Louis-Aimé Parenteau écrit :
Je ne crains certainement pas mais quand les obus passent par-dessus et qu’il pleut des mortiers tout alentour, bien je suis un peu nerveux. (Italie, 9 juillet 1944)
Bien je dois terminer car ce soir à 10hrs on va en randonnée pas loin, mais on va avoir beaucoup d’ouvrage une vingtaine de blessé à charrier à bras un demi mille je souhaite qu’il ne soit pas trop gros. (Italie, 9 juillet 1944)
[...] j’ai été à l’hôpital c’était comique je pensais correct mais je n’étais pas capable de dire un mot et j’avais la main droite paralysée « shell choc » qu’ils appellent ça mais maintenant c’est tout guéri seulement quand je parle j’hésite ou je bégaie... (C.A.O.S., 7 novembre 1944)

DE LA COLLECTION AUTOBIOGRAPHIQUE
Pierre LEFEBVRE, BORDEAUX, CA42, tapuscrit, 1996, 172 pages. Par Catherine Germain.
Prêtre de St-Sulpice, et préfet de discipline dans un collège (où il est entré à 12 ans), Pierre Lefebvre, à l’âge de 37 ans, « cherche une porte de sortie ». Il est psychologue de formation, et c’est avec un certain humour qu’il remarque qu’il « quitte un enfermement (le collège) pour un autre (la prison) »!
La prison de Bordeaux, ce n’est pas son premier choix pour une nouvelle vie en 1976. Pierre Lefebvre fait ce choix « à la manière d’un apôtre (qui va) vers les plus démunis ». « Évoquer Bordeaux, c’est susciter une fascination (proche) de l’effroi ».
Il donne dans ce texte une très bonne description de la prison, très précise, « de l’intérieur » : depuis la manipulation du heurtoir sur la seule porte d’entrée, les multiples portes à barreaux, les contrôles à passer, les bruits et le silence, les odeurs, la surveillance permanente et le stress qui en découle pour tout le monde. Il écrit : « Vivre ou travailler en prison crée un impact sur l’ensemble de la personne. Il faut être fort pour en émerger sans séquelle.»
Pourtant, à l’intérieur de la prison, tous les prisonniers circulent librement. À leur arrivée, le Comité de classement les a répartis en 4 grands groupes : - Aile B : les « nouveaux », première incarcération; - Aile C : les récidivistes; - Aile E : les jeunes en pleine ascension criminelle, avec les vieux en fin de carrière. Enfin les prisonniers protégés dans l’aile A : « courtes sentences », cas psychiatriques fonctionnels, travestis, itinérants, et les Noirs.
Pierre Lefebvre décrit le processus d’évaluation, les cellules, les cours et services proposés, l’uniforme, l’accès au téléphone, les objets et les jeux permis ou prohibés en prison. Il raconte vraiment la vie en prison, à la fois les règlements mais aussi la pratique : la discipline, l’isolement (le « trou »), les absences temporaires autorisées aux détenus, les visites et parloirs. Il s’intéresse bien sûr aussi au personnel (sa sélection par exemple).
Très vite, il remarque que, dans cette atmosphère de surveillance généralisée, il est très difficile de parler de façon informelle à ses « clients ». Toute rencontre doit se faire dans son bureau. Et à son bureau, on y va…pour avoir accès au téléphone!
Quelle est donc « l’utilité ou encore l’efficacité de mon travail en ces lieux » se demande-t-il? Le psychologue est-il au service des personnes incarcérées ou de l’administration pénitentiaire?
Pour l’administration, la réponse est claire. Le psychologue doit « aider le personnel dans ses relations avec la clientèle. » Il doit « participer à l’humanisation du milieu…voir à ce que le client vive bien son incarcération ».
En fait, au fil des pages, Pierre Lefebvre raconte la coexistence - difficile - de deux directions à l’intérieur de la prison : la « Sécurité » et les « Programmes ». Il décrit les différences entre l’équipe des surveillants qui s’occupent du « corps » du détenu, et l’équipe des programmes, qui s’intéresse à son bien-être et à son « âme ».
Son texte suit l’histoire de l’évolution des services pénitentiaires au Québec
À la fin des années 70, on commence à voir de nombreuses transformations à la prison de Bordeaux. Pierre Lefebvre est envoyé à Québec pour participer aux travaux préparatoires à la mise sur pied d’une Commission québécoise des libérations conditionnelles. La loi est votée, elle apportera de nombreux changements à Bordeaux. Pierre Lefebvre, nommé coordonnateur, explique en détail toutes les difficultés de l’application de cette loi.
Québec pilote également d’autres projets dont celui de la « création de nouveaux secteurs de vie », une « première incursion des professionnels (comme Pierre) dans un territoire hostile et qui a été jusque-là la chasse gardée des surveillants ». Les professionnels sont confrontés pour la première fois à la réalité du milieu. Une expérience douloureuse mais qui se solde par un succès.
En 1980, Pierre Lefebvre devient président du Comité de discipline de Bordeaux, d'où plusieurs réflexions et détails sur ce maintien de l’ordre nécessaire en prison. Avec toujours les questions et contradictions de l’auteur : Qu’est-ce qu’un psychologue (qui n’a ni à juger ni à punir) peut-il bien faire à la présidence d’un Comité de discipline?
Puis viennent des changements de direction, une décentralisation des services. Le Comité de discipline est remplacé par autant de comités qu’il y a de secteurs d’hébergement. Les professionnels perdent et leur pouvoir et la présidence des comités.
Pierre Lefebvre, pour une courte durée, sera appelé à « coacher » les nouveaux comités qui voient le jour.
Le volume se termine par un certain nombre de chapitres dont les titres parlent d’eux-mêmes : « Les émeutes à Bordeaux » brosse un historique rapide des différentes émeutes des années 1950-60, puis 1979 et 1981. « Les psychologues à Bordeaux » raconte l'implantation d’un véritable service de psychologie. « Espoir et déclin de l’équipe des professionnels » montre comment l’arrivée de 8 nouveaux professionnels déséquilibre l’équipe des anciens. « Guide touristique » fait état d'une des tâches octroyées au psychologue : le tour de Bordeaux, et offre une précieuse description de la visite proposée par Pierre Lefebvre aux curieux de toutes origines : juges, ministres, étudiants, etc. ». Dans « La protection (encore) » traite à la fois de la protection de la société et de la protection des détenus entre eux et de la nécessité d’un quartier de protection pour certains détenus. « L’isolement » nous renseigne sur la détention dans le « trou » et sur le rapport présenté par Lefebvre quant au recours à ce genre d'isolement.
Le psychologue rédigera Un manuel d’information sur Bordeaux et ses services, à la demande d’un surveillant qui doit trouver rapidement réponse aux questions des détenus. Un chapitre porte sur la PAE et la relation du psychologue avec les employés de la prison. La discrimination raciale sévira longtemps à la prison et l'auteur relate comment elle a disparu du jour au lendemain avec l’arrivée d’un multirécidiviste noir « bâti comme une armoire à glace » et que l’on a envoyé dans l‘aile C malgré l’appréhension du personnel : « Il a ouvert la porte à bien d’autres. » Quant aux travestis, ils étaient envoyés automatiquement en protection, avant que les autorités prennent la décision de les intégrer, comme les Noirs, à la population normale de la prison. « La drogue en prison » explique les détails de son commerce, les modes de paiement des détenus, la livraison. Les saisies sont rares, la drogue fait aussi l’affaire des surveillants.
« Le sexe à Bordeaux » est bien présent. Si le personnel présente de plus en plus de mixité, la population carcérale reste masculine entrainant des pratiques homosexuelles (tarifées ou non) et parfois même des agressions sévèrement punies. L'institution fournit aux détenus un cours d’éducation sexuelle.
Depuis des années aux aguets «de tout poste qui me ferait sortir de ma prison », Lefebvre quitte Bordeaux en 1987, sans un regard en arrière « comme tous les détenus »! Il lui faudra « malheureusement bien des années avant d’obtenir une libération totale, inconditionnelle, de ce milieu concentrationnaire ».
On comprend à travers ce récit que Pierre Lefebvre a quitté les ordres et fondé une famille, mais il n’en parle pas. On voudrait en connaitre davantage sur le personnage, mais il ne s’agit pas d’une autobiographie.
CITATIONS
Bordeaux, dans la tradition des bâtisseurs des monuments d'une autre époque et qui a inspiré entre autres l'érection des cathédrales, Bordeaux, c'est d'abord une architecture, impressionnante, voulue justement pour sidérer, affirmer le sérieux de la Justice et marquer de façon très nette la frontière entre les « bons » et les « méchants », qui sont en-dedans ». P. 2
Le personnel paraît résigné à [l'usage de la drogue]. Étant donné la surpopulation et l'oisiveté quasi générale, la drogue peut paraître à certains comme un mal nécessaire, acceptable. Quand les gars sont gelés, ils sont tranquilles, ils ne voient pas passer le temps et le personnel a moins de problèmes. N'accepte-t-on pas, en milieu psychiatrique, la surmédication qui fait que les malades sont tranquilles et dociles? P. 158.
NOS LECTURES
Dominique NANTEL BERGERON, Prisonnier à Bordeaux. Récit d'Adolphe Nantel 1931-1932, Québec, Septentrion, 2023.
Peu de détenus ont laissé des témoignages de leur vie « derrière les barreaux ». Il a fallu qu'un journaliste, Adolphe Nantel fasse un séjour de cinq mois à la prison de Bordeaux pour que soit révélé l'univers carcéral où séjournaient des centaines d'hommes. Il observe, il note, il écrit puis, après sa sortie, il fera part de son expérience carcérale dans les journaux, sous le nom de Jean Malpigny, et laissera aussi un récit manuscrit. Presque un siècle plus tard, sa petite- nièce Dominique Nantel Bergeron réorganise ces écrits pour en faire un tout cohérent, et contextualise les faits pour présenter un ouvrage d'un grand intérêt.
Après avoir collaboré à divers journaux de Montréal à Edmonton en passant par Rouyn, Nantel, habitué des bars, des maisons de jeu et parfois des antres d'opium, se trouve dans la dèche et est arrêté pour vagabondage. Son récit commence dans le « panier à salade » avec la description de ses compagnons d'infortune. Car le journaliste sait écrire, il en a obtenu la permission du gouverneur, et fait revivre chaque personnage : le gouverneur, les codétenus, les visiteurs. Il décrit l'établissement, les cellules, le mobilier, l'hygiène et le manque d'hygiène, ainsi que les poux, les punaises et les coquerelles avec qui on s'amuse faute de divertissement.
Nantel a de la chance : il est assigné aux cuisines lui qui a été cook dans un camp de bûcheron. Ce qui nous vaut les menus et les recettes de la semaine et du dimanche, et bombances du diner de Noël et du Jour de l'An.
Tout est dit avec ironie, Nantel ne pontifie pas, ceci n'est pas un pamphlet contre l'enfermement, mais chaque situation est une dénonciation d'une injustice, d'une situation, qui frappe d'autant plus placée sous le signe de l'humour. Il s'acquitte bien de la promesse qu'il a faite aux prisonniers de révéler leur vie quotidienne et chercher à obtenir des améliorations à leurs conditions.
Dominique Nantel-Bergeron présente un excellent travail d'édition en agençant le manuscrit d'une trentaine de pages aux chroniques publiées dans les journaux et en ajoutant des notes explicatives et des photos.
CITATIONS
Nous sommes dirigés dans une chambre spacieuse. Des rangées de bancs vernis me transportent aussitôt dans la sacristie de mon village quand j'allais à confesse le dimanche matin, à cinq heures, pour avouer au bon curé mes grosses fredaines... Mais cette poétique image d'une jeunesse aussi naïve que lointaine est vite effacée par une pancarte, en face de moi, sur la muraille immaculée. « CEUX QUI ONT DES MALADIES VENERIENNES SONT PRIES D'EN AVERTIR LES AUTORITES » Par Ordre... »
Nous les cuisiniers somment des favoris. Une table est notre luxe. Une once de graisse, de tête-en-fromage (invariablement faite avec les pattes ou les côtes de messire porc) forme tout le menu. Mais Dieu que c'est bon! Tellement bon que plusieurs se fabriquent des sandwiches, les cachent entre leur caleçon et la chaussette, à fleur de peau, pour réveillonner plus tard en cellule.
Commençons!... Le met étalon de Bordeaux, met typique, met universel, consiste en un gruau à la farine d'avoine nommé « scow » par les anglais, et m... par les français. On l'utilise aussi pour coller les livres déchirés et empâter les coquerelles. La « scow » se compose de 100 gallons d'eau (1,000 livres de liquide). Il s'y ajoute 75 livres de farine d'avoine et 13 livres de mélasse (un gallon). La ration ordinaire est un peu moins d'une livre. Donc le détenu, à l'exception des malades à l'infirmerie, reçoit deux fois par jour, durant 365 jours, avec son petit pain, une livre d'eau, .075 de farine d'avoine, .013 de mélasse.
Il semble qu'un des commandements de Bordeaux se rédige ainsi : Les couvertes tu laveras - Poux et punaises, deux fois l'an.

EN VRAC
Depuis 2012, les Éditions du Mauconduit se consacrent à la publication d'ouvrages à caractère autobiographique. Sa directrice, Laurence Santantonios, se propose de « relater, divulguer, partager des textes littéraires exigeants mais aussi des paroles et des expériences de vie qui risqueraient de disparaître si on ne prenait pas la peine de les consigner par écrit. »
Voici les derniers titres des éditions du Mauconduit :
Emmanuelle Tabet. En nature - Journaux intimes et carnets, Éds du Mauconduit, 2025.
Aliénor Gandanger, Adopte un soldat. Correspondances de marraines de guerre 1915-1922. Éds Mauconduit, 2024.
Claudine Krishnan, Journaux d’adolescence 1915-1981, Éds du Mauconduit, 2024.
Stève Wilifrid Mounguengui, J’ai toujours marché avec ses rêves en moi, Éd. du Mauconduit, 2025.
AUTOBIOGRAPHIES récentes
Il se publie chaque année, au Québec, presque 200 autobiographies, la plupart de gens anonymes qui décident de transmettre l’histoire de leur vie. Elles sont publiées souvent dans de petites maisons d’édition disséminées à travers le Québec. En voici quelques-unes d’autrices et d’auteurs connues et méconnues.
ALEXANDRE, Maria Da Silva, La petite fille du France : un léger parfum de Paris et d’ailleurs, Saint-Anselme, Éditions GML, 2023.
ANGER, Chantal, Toute la vérité, rien que ma vérité!, Québec, Crescendo, 2023.
ARCHIBALD, Jacques, avec Jean Dorval. L’université de la vie : mon engagement en milieu populaire et dans l’Église, Québec, Promeneur des ondées, 2024.
BERTRAND, Janette, Cent ans d’amour : réflexions sur la vieillesse, Montréal, Libre expression, 2024.
BLAIS, Edith, Portée par le vent : leçons de captivité et de liberté, Montréal, Éditions de l’Homme, 2025.
BEAUSOLEIL, Jean-Marc, Au violon : lecture et délinquance, Montréal, Somme toute, 2024.
BLACKBURN, Catherine, Le livre émotif : autobiographie artistique, Magog, 2023.
BOUDREAU, Isabelle, Des guenilles à la richesse : un destin de découvertes parsemé de difficultés, une lutte constante jusqu’à la fin de ma vie, Caraquet, NB, Éditions de la Francophonie, 2023.
CORNEILLE, La mélodie du pardon, Montréal, les Éditions de l’Homme, 2025.
COULON, Jocelyn, Le cours de l’Histoire : mémoires, Montréal, Somme toute, 2024.
DORION, Hélène, Jours de sable, Paris, Gallimard, 2025.
FALAISE, Ingrid, Fille-mère, Montréal, Libre Expression. 2025.
FRIZE, Monique, Une femme en ingénierie : mémoires d’une pionnière, trad. Suzanne Aubry; préface Claire Deschênes, Ottawa, les Presses de l’Université d’Ottawa, 2024.
GACHET, Anaïs, Du coup, j’ai fui la France : essai autobiographique, Montréal, Hashtag, 2022.
HACHÉ, Martha, La ménagère au village : récit autobiographique, Magog, Un Million de rêves, 2024.
HAMELIN, Joanne, Les ailes d’une pionnière : si l’avenir vous intéresse!, La Sarre, la Plume du Nord, 2023.
LACHANCE, Line, Mes petites bulles de bonheur! Les mémoires d’une préposée aux bénéficiaires, Lanoraie, Les Éditions de l’Apothéose, 2024.
LANGELIER, Tony et Christian Lagauche, Tony, une guerrière parmi les hommes : un pan d’histoire de la radio au Québec, préface de Gilles Proulx, Québec, Crescendo, 2023.
LAPOINTE, Lisette, De combats et d’amour : mémoires, Montréal, Éditions de l’Homme, 2025.
Lessard, Jacques, Autopsie d’une sortie, Trois-Rivières, les Éditions Drassel, 2023.
MICHAUD, Josélito, Madame, est-ce que je vais être choisi? Montréal, Libre Expression, 2025.
PRINET, Dominique, Pilote du bout du monde : souvenirs d’un pilote de brousse dans le Grand Nord, Saint-Jean-sur-Richelieu, lJCL, 2022.
RENAUD, Marie-Claude, Yogi stripper, Montréal, La Mèche, 2023.
PARÉ-POUPART, Simon, Ordures ! : Journal d’un vidangeur, Montréal, Lux éditeur, 2024.
SAINT-ELOI, Rodney, Quand il fait triste Bertha chante, Montréal, Québec Amérique, 2024.
St-PIERRE, Éric avec Agnès Marliot, Mira : ma plus belle histoire d’amour, préface de Louise Arbour, Montréal, Druide, 2023.
SZACKA, Alexandra, Je ferai le tour du monde, Montréal, Boréal, 2023. 322 p.
VIOLA, Lise, L’autre côté du mur : récit d’une des premières femmes agentes correctionnelles au Québec, Saint-Bruno-de-Montarville, Goélette éditions, 2024.
![]()
Le prix Clarens du Journal Intime est décerné annuellement, en France, par Les Moments littéraires et la Fondation Clarens. On peut aller voir la pré-sélection pour 2025 https://www.prixclarensjournalintime.org/edition-2025
Les Moments littéraires est une revue littéraire, basée à Paris, consacrée aux écrits intimes, surtout de personnages connus. https://lesmomentslitteraires.fr/index.html
La Faute à Rousseau, publié par l'Association pour le patrimoine autobiographique (France), vient de publier son 100e numéro. Il porte sur les archives familiales.
https://autobiographie.sitapa.org/publications-la-faute-a-rousseau
En France, en juin, se tient annuellement Festival du Journal Intime. On y lit des extraits de gens célèbres ou moins connus, avec accompagnements musicaux. Vaut le détour en juin (avec les huitres et les crêpes). https ://www.festivaldujournalintime.fr/
![]()
CONSEIL D'ADMINISTRATION des APM :
Maud Bouchard-Dupont, historienne
Barbara Creary, avocate
Sophie Doucet, historienne
Marthe Léger, archiviste
Andrée Lévesque, historienne
Archivistes : Rachel Marion, France Villeneuve.
On remercie notre bénévole Catherine Guenette. Et Stéphane Lévesque pour le site internet.
Sur Facebook : https://www.facebook.com/archivespassememoire
Les Archives Passe-Mémoire sont enregistrées comme organisme sans but lucratif. Il est soutenu par des dons et reconnu comme un organisme de bienfaisance qui remet des reçus de charité pour l'impôt.